Une danse avec le Diable
C’est la nuit, au loin, les aboiements d’un chien sonnent comme une alerte. Puis, le bruit laisse la place au crépitement d’un feu flamboyant qui rythme le récit d’un enfant. Ce n’est ni un conte fantastique, facétieux, encore moins un conte de fée. Il raconte les circonstances de la mort de son père. Un kamikaze qui se faisait passer pour un vendeur de poulet. Le spectre de Boko Haram, ce film documentaire de 75 mn est écrit et réalisé par Cyrielle Raingou et aborde la problématique du terrorisme sur le continent africain. Boko Haram, un groupe salafiste et djihadiste, sévit depuis 2013 dans son pays, le Cameroun, avec pour origine et épicentre le Nord-Est du Nigéria, l’État de Borno. Le film raconte à partir du point de vue des enfants, la vie dans une région menacée par ce fléau.
On est dans la commune de Kolofata, une région de l’extrême nord située à la frontière entre le Cameroun et le Nigeria. Un paysage pittoresque et lyrique avec une chaîne de montagnes dormantes, presque mystérieuses. C’est l’aube, le soleil dort encore. Cyrielle Raingou pose le décor de son film et donne le contexte en guise d’ouverture.
Puis, sonne l’appel du muezzin, on découvre le bonheur de ce beau paysage avant d’être freiné dans notre élan par le crépitement lointain d’armes à feu sous le regard figé presque indifférent de Mohamed et de son petit frère Ibrahim. Est-ce leur quotidien ? Et pendant qu’on se demande d’où ça vient, de la guitare traditionnelle d’un griot jaillit une chanson qui implore Dieu de protéger Kolofata de Boko Haram.
Si la protection divine n’est pas palpable, on remarque tout de même l’omniprésence de la force militaire multinationale (B.I.R) qui repoussent les djihadistes dans les montagnes. Car le village vit sous protection militaire. Au creux de cette zone de conflit, les enfants (Mohamed, Ibrahim, Falta, Ladki, Isamela, Maloum), dans leur innocence, font germer la vie entre les épaves de voitures brûlées, la végétation verdoyante, le bétail, la poterie, les chants, les militaires armés autour de l’école, comme la terre fertile de ces lieux qui donne vie à une belle récolte d’oignons.
Ce n’est pas pour autant que les réfugiés Mohamed et son frère oublient leur enlèvement à Mitchika par les terroristes alors qu’ils se rendaient à l’école coranique ; la perte de leurs parents ; les 60 coups de fouet ; les horreurs dont ils ont été témoin de fait de Boko Haram. Serait-ce la raison pour laquelle l’un rêve la nuit du plus grand animal dans la brousse et que l’autre ne rêve pas du tout ? C’est sans doute la peur du spectre de Boko Haram et la quête d’un jour de paix qui les amènent à fuguer du village avec Bello.
Depuis sa sortie en 2023, le film se démarque tout d’abord par la prise de risque de la réalisatrice et les enjeux politiques qui entourent la question du terrorisme. Ensuite, sur le plan technique, par son écriture, le travail de repérage, le montage de Christine Bouteiller des belles images de Cyrielle Raingou et de Bertin Fotso, la qualité de son de Hervé Guemete, Hubert Domkam et Florence Hermette (sound design), le film qui a choisi de s’inscrire dans l’observation convainc. Cela justifie sa sélection dans plusieurs festivals tels que Stlouis’s Docs en compétition internationale (Sénégal, 2023), le Durban International Film Festival (Afrique du Sud, 2023). En plus, la production Label Vidéo peut donc se réjouir du jeune parcours de son bébé qui est récompensé par les prix Etnomatograf, Perspectives Paul Robeson et le Tigre d’or.
En somme, Le spectre de Boko Haram est un support de sensibilisation car il cadre avec les défis sécuritaires actuels que doivent relever nombre d’États africains tant le terrorisme est désormais l’affaire de tous.
Durban International Film Festival
Attrapez la 44e édition du Durban International Film Festival (DIFF), présentée par le Centre for Creative Arts à University of Kwazulu-Natal du 20 Juillet 2023 au dimanche 30 Juillet 2023.
Pour plus d’informations, visitez: https://ccadiff.ukzn.ac.za
Auteur
Cette critique a été produite dans le cadre du programme Talent Press, une initiative de Talents Durban en collaboration avec le Durban FilmMart (DFM). Les avis exprimés dans cet article n’engagent que l’auteure (Gaël Hounkpatin.) et ne sauraient être considérés comme constituant une prise de position officielle des organisateurs.